Parce que non, "The Fate of Ophelia" n'est pas qu'une trend Tik Tok
Mégaphone & Mélancolie
Le 3 octobre dernier, Taylor Swift dévoilait « The Life of a Showgirl », son douzième album. Et de cet album justement, on dit beaucoup (trop) de choses : il y a ceux qui l’ont trouvé insipide, ceux qui ont râlé en clamant haut et fort qu’elle ne savait plus écrire. Il y ceux qui lui ont reproché de trop briller ou, au contraire, de ne pas savoir se renouveler. Mais, si tu cherches bien, si tu regardes au-delà des 20 covers alternatives, tu trouveras ceux qui, après près de vingt ans, se sont juste réjouis de voir la meuf qui signe la bande-originale de leur vie (enfin) heureuse. Parce qu’au fond, tout le problème est là : cet album est trop joyeux. Trop joyeux, trop coloré, trop insolent, trop flamboyant – trop tout, finalement. Mais pour bien comprendre, on ne va pas se pencher sur les chiffres – déjà parce qu’ils nous donneraient le vertige mais surtout parce que, sans surprise, « The Fate of Ophelia » squatte la première places des charts depuis un mois – et oui, c’est un énième record.
Non, pour comprendre, on va plonger (un peu plus) dans la narration. Parce que s’il y a un truc que Taylor Swift maîtrise aussi bien que la pâtisserie, c’est le storytelling.
Souviens-toi, quand on laissait Taylor Swift, elle luttait pour retrouver ne serait-ce qu’un peu de couleur. Il ne lui restait qu’un teint pâle, un album aussi torturé que son heartbreak et une prophétie qui, visiblement, semblait se répéter. Encore et encore. Quand on l’a laissée, Taylor Swift brillait tous les soirs en priant pour les strass et les paillettes camouflent un coeur criblé de balles symboliques – coucou, « The Smallest Man Who Ever Lived ». Alors évidemment, quand on la retrouve avec une coiffe orange plus vive qu’un Dracaufeu enragé, on a du mal à gérer la transition : est-ce qu’être heureux veut dire perdre son écriture ? Sa poésie ? Son aura ? Est-ce que célébrer une relation qui, enfin, la guérit ne la rendrait pas finalement moins désirable ? Pour certains, visiblement, oui. Mais quand on gratte sous la surface, Swift n’a perdu ni sa plume, ni son talent : je te l’ai déjà dit mais, j’aime bien me répéter- comme ma grand-mère. Une fois de plus, Swift a choisi Shakespeare pour raconter son histoire. Et la dernière fois qu’elle nous revisitait un classique du dramaturge, c’était pour nous vendre un amour aussi indestructible que naïf – le genre d’amour adolescent que tu idéalises – trop- et qui finit par te détruire de l’intérieur. Cette fois, elle range le corset inconfortable de Juliette pour mieux se laisser couler dans la mélancolie d’Ophelia. Ophelia, la fille qui, consumée par le chagrin et la culpabilité a fini par se laisser couler.
« I sat alone in my tower, you were just honing your powers »
Et c’est justement là, quand Swift ne croyait plus en son feu, que Travis Kelce s’est pointé. Quarterback le jour, « pyro » la nuit, il ne lui aura fallu qu’un mégaphone et quelques friendship bracelets pour la faire descendre de la tour dans laquelle elle s’était barricadée. Celle qui a confondu attachement et anxiété pendant des années, celle qui croyait qu’un coeur brisé ferait les meilleures chansons a fini par remonter à la surface pour mieux nous livrer un album pop, certes, mais efficace. Alors je te l’accorde, cet opus ne marquera pas l’histoire de la pop comme 1989, il ne sera jamais aussi symbolique que Reputation. Il ne sera jamais aussi poétique que Folklore ou The Tortured Poets Department. Je te l’accorde, The Life of a Showgirl est peut-être aussi égoïste qu’il est joyeux. Mais en attendant, il a le mérite d’exister pour nous rappeler que les prophéties ne sont pas faites pour se graver dans le marbre. Et puis parfois, il suffit d’un mégaphone pour se souvenir qu’on est en vie.